Tel père, Memphis

« Ça représenterait tout pour moi de remporter le titre avec Houssem, l’équipe, le club et le président. ». Dans un entretien croisé avec son pote Houssem Aouar organisé par le Canal Football Club en début d’année, Memphis Depay (27 ans) rappelait combien il aimerait quitter l’OL avec un titre de champion dans sa besace. Leader technique et mental du groupe de Rudi Garcia, le Batave a bien intégré que la saison 2020-2021 représentait pour lui une occasion unique de faire taire ceux qui estimaient que son arrivée à l’OL, lors du mercato hivernal 2017, en provenance de Manchester United, constituait une régression.
Bien que cela n’ait pas toujours été le cas depuis qu’il porte le maillot lyonnais, Depay affiche cette année une forte régularité sur le plan des performances, qui se traduit par des statistiques toujours aussi impressionnantes chez lui (14 buts et 9 passes décisives), pour le plus grand bonheur de son père de substitution : le président Jean-Michel Aulas. A l’heure d’affronter le PSG dimanche au Groupama Stadium (21h sur Canal Plus), et alors que le sprint final pour le titre s’annonce plus passionnant que jamais, c’est tout Lyon qui souhaite voir sa star briller pour les neufs dernières journées de la Ligue 1 Uber Eats.
L’écorché vif
« C’est un symbole : le lion est le roi de la jungle, et moi, j’ai l’impression d’avoir passé ma jeunesse dans une jungle. J’ai grandi dans un environnement compliqué et pour m’en sortir, j’ai toujours dû mener des batailles. Ce tatouage montre de quel bois je suis fait : j’ai un cœur de lion. » Au moment d’expliquer au journal l’Équipe les raisons pour lesquelles il dispose d’une tête de lion tatouée sur l’ensemble de son dos, Memphis Depay évoque son enfance. Pour comprendre la personnalité et le fonctionnement du Batave, un retour en arrière est inévitable. Alors qu’il n’a que 4 ans, son père Dennis Depay décide de claquer la porte et laisse donc toute la charge de l’éducation du petit Memphis à sa mère.
S’il a aujourd’hui repris contact avec son géniteur et semble lui avoir pardonné cette absence, l’attaquant de l’OL en a très longtemps voulu à son père, au point de refuser de porter son nom. « Longtemps, je me disais : “Il n’a jamais été là pour moi. Pourquoi devrais-je porter ce nom dans mon dos ?”. J’en ai beaucoup souffert dans ma jeunesse. Mais j’ai grandi, je suis devenu un homme plus mature. Comme je le disais, tout le monde fait des erreurs. Et il a fait une grosse erreur. Mais si je ne suis pas capable de lui pardonner, je ne pourrai jamais me pardonner à moi-même. Ça ne veut pas dire que nous devons être les meilleurs amis du monde, mais voilà, c’est fait, j’en suis heureux. »
S’il accepte donc aujourd’hui d’être désigné par le patronyme paternel, les ennuis du petit Memphis ne se sont pas limités à un simple divorce, situation à laquelle beaucoup d’enfants autour du monde sont confrontés. Quelques années plus tard, sa mère se met en ménage avec un homme qui s’avèrera être un beau-père tyrannique. Disposant d’au moins quinze enfants, cet homme va laisser de véritables séquelles psychologiques et physiques à l’actuel numéro 10 de l’OL. « Ça s’est très mal passé pour nous. Ça nous a pris des années pour nous reconstruire. Ça nous a totalement brisés. Je voulais abandonner. Memphis aussi voulait parfois abandonner. » déclarait sa mère dans un reportage consacré à son fils sur RMC Sport en mars 2019. Élève turbulent et difficile à gérer, le petit Depay traîne sa colère partout. Son seul bol d’air ? Le football.
S’il rejoint le Sparta Rotterdam à l’âge de 9 ans, le club se séparera du jeune homme trois ans plus tard, en raison de problèmes comportementaux. « Memphis ne savait pas ce qu’était un bon comportement. C’était compliqué de l’aider, il y avait comme un mur autour de lui.» racontait son éducateur Kevin Valkenburg dans le journal anglais The Guardian en 2014. C’est finalement le PSV Eindhoven qui va le sortir de Rotterdam, avant que son avenir ne tourne au vinaigre.
«Il traînait dans les rues les plus mal fréquentées de Rotterdam, avec des gens qui exerçaient une mauvaise influence sur lui. Quand le club est venu le chercher, il a compris que même s’il n’avait que douze ans, il devait couper les ponts avec ces gens-là. La vie à Eindhoven est bien plus calme qu’à Rotterdam. En comparaison, Memphis venait du far west.» racontait Thijs Slegers en 2015 pour la BBC, ancien journaliste devenu responsable de la communication du PSV. Eindhoven prendra quand même deux mesures fortes pour aider son poulain à se développer : le petit Memphis est placé dans une famille d’accueil et un coach mental personnel lui sera assigné tout au long de sa formation.
Malgré le décès de son grand-père qu’il tenait en haute estime, Memphis arrive footballistiquement à ses fins et débute avec les pros du PSV alors qu’il n’a que 17 ans. Néanmoins, le clivage entre son talent et l’image qu’il renvoie continue de faire tiquer. « Je l’ai vu jouer avec les U19 néerlandais, et il se comportait comme quelqu’un qui avait remporté dix Coupes d’Europe, taclait un jour Ronald Koeman (actuel entraîneur du Barça). Cette attitude… Qu’est-ce que ça veut dire ? » Cela signifie qu’il comble le déficit d’amour paternel par une confiance en soi démesurée. Et ça, Jean-Michel Aulas a mis très peu de temps à le comprendre au moment de le faire venir à Lyon lors du mercato hivernal 2017.
Aulas, le père qu’il n’a jamais eu
« Une fois de plus, à travers ce qu’il a montré, Memphis nous régale. Il a fait un geste que Pelé avait raté, je ne sais plus en quelle année. C’est le signe d’une très grande classe. » Si le président Aulas se montre aussi généreux en compliments pour une recrue portant les couleurs du club depuis seulement deux mois, c’est que Memphis Depay vient d’inscrire face à Toulouse (4-0) un lob du milieu de terrain qui sera couronné du trophée UNFP du but de l’année en fin de saison.
Mais derrière ses éloges, on peut également voir l’instinct paternel du président lyonnais. « Nous avons une relation de confiance dans les moments difficiles comme plus faciles. Certains disent qu’il est le joueur du président, mais ce n’est pas vrai. Il a une histoire un peu freudienne avec un problème de papa. J’ai donc essayé non pas d’avoir une relation de président à joueur mais d’avoir une écoute particulière. Il n’a pas le fond qu’on lui prête. C’est quelqu’un de très humain, qui a des choses à prouver, et pas seulement dans le foot. Et on lui fait confiance. Au moment de son retard cet été à l’entraînement, j’ai beaucoup parlé avec lui par WhatsApp pour lui dire qu’il fallait qu’il sorte grandi de cette opération. Et même s’il pensait avoir raison, il devait intégrer que c’était un joueur exceptionnel et que nous comptions sur lui pour les autres aussi. Il a peut-être des raisonnements qui peuvent paraître particuliers au début, mais quand on connaît son parcours, ça s’explique totalement. Je l’apprécie vraiment » analysait le président rhodanien sur le site internet du journal l’Équipe en octobre 2018.
Difficile d’imaginer cette affection feinte tant Aulas a pardonné des choses qu’il n’accepterait jamais venant d’un autre joueur. Les écarts de comportement du Batave avaient été synthétisés par Bruno Genesio lors d’un recadrage spectaculaire d’octobre 2018, effectué devant ses coéquipiers : « Je veux m’excuser Memphis. Je m’excuse pour tous tes retards, notamment à la reprise cet été, je m’excuse pour les équipements que tu portes qui ne sont pas ceux du club, je m’excuse pour ton échauffement à Angers, ton retard et ton manque d’implication. » Si on ajoute à ces faits son refus systématique de prolonger à l’OL (son contrat arrive à terme à la fin de la saison en cours) malgré de multiples appels du pied de Jean-Michel Aulas, il semblerait donc bien que Memphis produise un effet particulier sur le président lyonnais.
« Je lui ai dit qu’on l’aimait beaucoup. C’est un garçon qui a besoin d’amour. Il est capable de faire basculer un match à tout moment, il l’avait fait aussi à Paris. Il a fait des gestes techniques étonnants, certains au service du club et du résultat, et parfois en nous faisant trembler. C’est un garçon attachant. Par sa technique, il apporte des choses qu’on a peu vues à Lyon. Par sa personnalité, on ne peut que l’aimer, même si quelques fois il nous fait frémir. » résumait le président des Gones en février 2018, après une victoire face à Villareal (3-1) en Europa League. Mettre dans les meilleures conditions le joueur le plus frisson de son effectif, c’est également la stratégie qu’a mis en place Rudi Garcia afin d’exploiter au maximum les atouts de l’international néerlandais (59 sélections, 21 buts).
Le facteur X de Garcia
« Memphis s’est dégagé au niveau sportif et au niveau de la motivation. » Un mois après son intronisation sur le banc de l’OL en remplacement du Brésilien Sylvinho, Rudi Garcia s’est enfin décidé : Depay sera son capitaine pour le reste de la saison. Le nouvel entraîneur de l’OL ne s’était pourtant pas précipité au moment de confier ce brassard, préférant tester différents joueurs (Lopes, Marcelo, Dubois, Aouar) et analyser leurs comportements sur et en dehors du terrain. Après un mois de tâtonnements, Garcia a donc fait son choix : « Il s’est dégagé à tous les niveaux, aussi bien sur l’extra-sportif que sur ses performances. Il a même commencé à prendre des cours de français. Il fait des efforts au niveau de la langue pour progresser. » justifiait-il en conférence de presse.
Malheureusement pour lui, ses premiers pas brassard sur le bras vont être de courte durée. Un mois à peine après sa désignation, le Hollandais se rompt le ligament croisé antérieur du genou gauche au Groupama Stadium face à Rennes (0-1) et il sait déjà qu’il devra cravacher pour pouvoir assumer son statut de star des Pays-Bas au moment de disputer un Euro programmé six mois plus tard… Déterminé, les supporters lyonnais et hollandais n’attendront que très peu de temps avant de constater que l’attaquant a pris une avance phénoménale sur sa rééducation : il s’expose sur les réseaux sociaux balle au pied seulement deux mois après son opération ! Un mois plus tard débute la crise sanitaire de la Covid-19 et le virus va pousser les autorités à reporter d’un an la compétition continentale : “Captain” Memphis peut donc se consacrer uniquement à la préparation de son retour sur les terrains avec l’OL, qui s’apprête notamment à disputer le Final 8 au mois d’août. Peu décisif pendant le superbe parcours de l’OL (élimination en demi-finale face au Bayern de Munich, 0-3), la reprise de la compétition par Depay a au moins le mérite de rassurer Garcia : le genou tient, et il va pouvoir compter sur son capitaine lors de la saison 2020-2021 qui s’apprête à débuter dans la foulée.
Installé à la pointe du trident offensif qu’il compose en compagnie de Kadewere et Toko-Ekambi (35 buts en L1 à eux 3), Memphis Depay est certainement le premier nom que couche Garcia sur ses feuilles de match. En décrochant régulièrement, il permet à ses deux compères d’attaque d’utiliser leur vitesse pour prendre la profondeur. De plus, toujours par ses décrochages, le numéro 10 lyonnais vient régulièrement apporter le surnombre au milieu de terrain. Avec 14 buts et 9 passes décisives, Memphis Depay est le joueur lyonnais le plus décisif cette saison. Si l’OL croit toujours au titre à cette période de l’année, il le doit sans nul doute aux performances de son leader technique et mental. A trois mois de la fin de son contrat et alors qu’il ne devrait pas prolonger, le Batave rêve de quitter l’OL sur un titre.
« Ça représenterait tout pour moi de remporter le titre avec Houssem, l’équipe, le club et le président. » déclarait-il sur Canal Plus il y a deux mois. Président qui n’a pas abandonné l’idée de prolonger celui qu’il considère presque comme son fils d’adoption : « Pour Memphis, je rêve qu’il accepte notre proposition qui est toujours d’actualité à la fin de saison. Memphis apporte tellement, il est impliqué directement sur 23 buts (14 buts, 9 passes en L1). La proposition restera toujours d’actualité et si nous sommes champions, pourquoi pas ? » déclarait hier Jean-Michel Aulas à l’AFP. S’estimant lui-même largement au niveau pour jouer dans un club d’un standing supérieur à celui de l’OL, Memphis a une occasion en or de montrer qu’il est capable de côtoyer le graal européen en sortant un match dont lui seul a le secret face au PSG dimanche. Comme Jean-Michel Aulas, tous les supporters lyonnais aimeraient retenir uniquement le meilleur de Memphis Depay.
Crédit photo : Damien LG
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