Entretien avec le speaker de Gerland Dominique Grégoire

Il a été la voix de Gerland pendant 17 ans et demi (août 1998-décembre 2015). Tous ceux qui ont grandi avec les fabuleuses années 2000 de l’Olympique lyonnais reconnaissent instantanément cette intonation qui leur est si familière. Dominique Grégoire a accepté de revenir sur ses années de speaker de Gerland pour Planète Lyon. Entretien “Do braziiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiil”.
Planète Lyon : Bonjour Dominique. Comment allez-vous et quelle est votre actualité depuis la fin de l’aventure avec l’OL en décembre 2015 ?
Dominique Grégoire : Je vais bien. Ma famille et moi avons eu la chance de ne pas être touchés par la Covid, donc tant mieux. C’est vrai qu’en 5 ans, il s’est déjà écoulé du temps et j’ai pu faire pas mal de choses. Je consacre notamment beaucoup de temps à ma deuxième passion avec l’OL : je suis artiste peintre, mon atelier se situe à Décines. Je continue également à animer des évènements privés… J’ai par exemple été chargé de l’animation du mariage d’Anthony Lopes !
Les fonctions de speaker
Par quel heureux hasard devient- on speaker de l’OL ?
Je travaillais déjà dans le milieu du sport. Ancien joueur de basket, mon goût pour le micro et l’animation m’ont vite amené à exercer cette fonction. J’ai d’abord animé des matchs de basket (Lyon Basket, ASVEL) et de tennis. En mai 1998, alors que la Coupe du Monde en France approchait, j’ai été sollicité par Marino Faccioli pour tenir le rôle de speaker remplaçant à Gerland pendant la compétition. Pendant le mondial, j’ai fait l’animation dans les villages de supporters : j’assurais les avant-matchs, les mi-temps et les après-matchs. Comme le speaker de l’OL tirait sa révérence, on m’a proposé de prendre sa succession après la Coupe du Monde. J’ai accepté et en août 98, j’ai fait mes grands débuts à Gerland !
Vous étiez prestataire au match. Pourquoi l’OL ne vous a-t-il jamais proposé un contrat en bonne et due forme ? C’est une bonne situation speaker ?
On a commencé comme ça avec l’OL et cela n’a jamais bougé au fil des années. C’est la manière de fonctionner qui semblait convenir au club, et ça m’allait très bien aussi. Garder un statut de travailleur indépendant me permettait de proposer mes services en dehors du club. J’étais très correctement rémunéré pour mes prestations de speaker, la courbe a suivi la montée en puissance de l’OL. De toute façon, on se retrouvait au moins une fois par an à Paris avec mes confrères speakers et nous convenions ensemble d’un prix moyen à facturer à nos clubs respectifs.
On se côtoie entre speakers de L1 ?
Oui, on se réunissait tous au moins une fois par an. On avait toujours beaucoup de plaisir à se retrouver. On en profitait pour se donner quelques conseils mutuels, et forcément se chambrer un peu… (rires)
Ce poste semble peu laisser place à l’improvisation dans l’avant-match avec tout un timing et un protocole à respecter. Quel est votre regard sur l’évolution de cette fonction si particulière ?
Il y a beaucoup de changements par rapport à mes débuts effectivement ! Disons qu’à mes débuts on était beaucoup plus libres, peu de speakers exerçaient la fonction avec un statut professionnel. Il y avait beaucoup de bénévoles. Aujourd’hui tout est effectivement beaucoup plus “timé”, on est à la minute près. On a notamment des obligations vis-à-vis des partenaires commerciaux des clubs qu’il faut absolument respecter. Et tout est très surveillé par la LFP, il faut savoir que les speakers sont notés. Personnellement, j’aimais beaucoup les avant-matchs : on peut toujours grappiller une petite information permettant de nous donner de la matière pour animer le match qui va commencer.
En 2015, vous avez été élu meilleur speaker de L1. C’est sur la base de ces fameuses notes attribuées par la LFP ?
Je ne crois pas qu’on m’ait attribué ce prix pour mon travail cette année-là spécialement. Je pense plutôt qu’il s’agissait d’une reconnaissance pour l’ensemble de ma carrière de speaker de l’OL.
Sa relation avec les joueurs, le staff et les dirigeants de l’OL
Quelle était votre relation avec Jean-Michel Aulas ? Êtes-vous encore en contact avec lui ?
Très respectueuse. Lorsque je l’ai connu en 1998, même si j’étais impressionné, il n’était pas encore le monument qu’il est devenu. Sans forcément converser longtemps avec moi, il avait toujours un petit regard complice lorsqu’il me croisait dans les travées du stade, une manière de me montrer qu’il m’avait vu. Nous n’étions pas proches mais il s’est montré chaleureux la dernière fois que je l’ai croisé : j’animais un événement privé d’entreprise au Groupama Stadium, et lui sortait du Conseil d’Administration. Je l’ai interpellé et lui ai demandé s’il voulait bien venir se présenter aux salariés présents avec moi. Avec un grand sourire, il m’a dit qu’il acceptait volontiers de faire le VRP du stade ! (rires)
Vous avez déclaré être ami avec Joël Bats. Quelle relation avez-vous avec lui exactement ? Vous êtes toujours en contact ?
Nous avons malheureusement perdu contact au moment de son départ au Canada. Mais, Joël est quelqu’un pour qui j’éprouve une grande amitié. On a beaucoup de points communs : tout en étant sur la réserve, nous sommes de grands sensibles. Comme moi, c’est un artiste. Je me suis également investi dans l’association “Hutington avenir” dont il est le parrain. J’ai assuré l’animation de plusieurs foot-concerts organisés pour récolter des dons. J’ai vu qu’il avait intégré l’école des gardiens JPG Académie basée dans l’Ouest lyonnais… Je compte bien reprendre contact avec lui !
Avez-vous noué des relations particulières avec certains joueurs?
La première génération de joueurs qui a accompagné mes débuts de speaker forcément. Tof Delmotte (Christophe Delmotte), Jean-Marc Chanelet, Greg Coupet (Grégory Coupet), Remy Vercoutre, Pierre Laigle… Nous nous envoyons encore des petits messages au moment des grandes occasions. J’ai également tissé des liens avec les gones de la génération Lacazette : Antho (Lopes), Alex (Lacazette), Max (Gonalons), Toto (Tolisso), Umtiti… C’est des gamins que j’ai vu grandir ! J’avais aussi une relation particulière avec les Brésiliens de l’OL (Caçapa, Edmilson, Anderson, Juninho, Cris…). Lorsque vous leur montrez de la considération, ils sont particulièrement chaleureux. C’est d’ailleurs pour leur faire des clins d’œil que je personnalisais leurs noms au moment de l’annonce de la composition des équipes. Do Braziiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiil…
Vous aviez déclaré à FootMercato : “Je discute aussi avec les joueurs au sujet de la musique à mettre dans le stade, par exemple pour l’échauffement”. Avez-vous eu des demandes farfelues ?
Farfelues non, car nous sommes tenus de respecter certaines règles en tant que speaker quant à la musique que nous passons. Par exemple, les chansons agressives sont proscrites : vous n’entendiez jamais de rap à Gerland. En revanche, c’était l’occasion pour moi de faire des clins d’œil aux joueurs. Quand Anderson entrait sur le terrain pour s’échauffer, je mettais systématiquement la chanson “Sunny” de Boney M. Lorsque je mettais du reggae, c’était pour faire plaisir à Sidney (Govou). J’avais toujours le droit à un petit regard complice de la part des joueurs à qui était destinée la musique.
Vous aviez aussi une affection particulière pour les féminines de l’OL. Comment cette relation s’est-elle tissée ?
La relation est différente de celle que j’avais avec les garçons, elles sont beaucoup plus accessibles. Et puis j’ai accompagné leur montée en puissance, notamment en Coupe d’Europe… On a quand même fait le premier 20 000 spectateurs à Gerland pour un match féminin !
Sa relation avec les supporters
Vous aviez pour habitude de chauffer à blanc les quatre tribunes et vous terminiez systématiquement par le Virage Nord. Quelle était votre relation avec les groupes de supporters de l’OL ?
Il a d’abord fallu se faire accepter. Lorsque je prends mon poste en 98, les groupes de supporters sont déjà installés, forcément. J’ai compris au bout de quelque temps qu’ils avaient des temps forts précis au cours d’un match, et que je devais respecter ça. C’est ainsi que j’ai gagné petit à petit leur confiance.
Vous avez déclaré ne jamais avoir aimé les derbys car trop tendus. C’est étonnant qu’un speaker n’aime pas ces matchs avec autant d’ambiance non ?
Disons que j’aime et j’aime pas. Ce sont forcément des matchs à enjeux où le public est gonflé à bloc… Mais je n’aime pas ces matchs où il y a toujours un risque de débordement. J’étais beaucoup plus enjoué lors des matchs de Ligue des Champions pendant lesquels tout Gerland se rassemblait comme un seul homme pour pousser l’OL vers la victoire !
De tout temps, il y a eu des joueurs et des entraîneurs de l’OL sifflés par leurs propres supporters. Comment on gère cela au moment d’annoncer la composition des équipes ?
Honnêtement, c’est difficile… Puis, il ne faut pas se leurrer, les joueurs ou les entraîneurs sifflés ont tout à fait conscience de ce qu’il se passe dans les gradins… La solution imparfaite que j’avais trouvée était de couvrir au maximum les sifflets avec la musique et ma voix. On monte le son et ça passe ! (rires)
Il y a également des matchs qui ont débuté par une grève des supporters lors du premier quart d’heure. Comment on gère ces avant-matchs particuliers ?
J’ai eu la chance de très peu le vivre puisque j’ai été speaker au cours d’une période faste du club… Mais ce n’est pas facile du tout ! J’ai toujours eu une pensée particulière pour mes collègues qui devaient faire face à des virages vides, dans des clubs où les supporters ont un poids considérable… Il faut faire le dos rond et faire son taf, pas le choix !
Ses meilleurs et ses pires moments à Gerland
Vous avez déclaré avoir suivi le dernier match du premier titre dans votre cabine, avec Bernard Lacombe qui aurait ouvert le champagne quelques minutes avant le coup de sifflet final. Racontez-nous ce moment…
Quelle fabuleuse journée ! On avait le sentiment que rien ne pouvait nous arriver… Je me souviens être arrivé au stade en sifflotant, persuadé qu’on allait être champions. Bernard, lui, est quelqu’un de très superstitieux, il croit beaucoup aux signes… A 2-0, il a fini par me dire que ça sentait bon… À quelques minutes de la fin, le match était plié et avec l’ambiance de feu qui régnait dans Gerland, il est venu dans ma cabine et m’a proposé d’ouvrir ma bouteille de champagne. Je dis “ma” car j’avais toujours une bouteille de champagne dans ma cabine !
Lorsque l’OL allait en finale de Coupe de France ou Coupe de la Ligue, vous montiez à Paris chauffer les supporters lyonnais présents au Stade de France…
Ce n’était pas le cas pour la finale face à Monaco (2-1 ap) en 2001 malheureusement ! Ce n’est que plus tard que les speakers des clubs ont été invités au Stade de France… Mais à part les finales de contre Paris en 2008 et Quevilly en 2012, ce sont plutôt des mauvais souvenirs (l’OL a perdu les finales de Coupe de la Ligue 2008, 2012 et 2014, ndlr)…
Vous aviez aussi laissé le micro quelques instants à Sonny Anderson avant la demi-finale retour contre le Bayern Munich (0-3). C’est vous qui lui aviez proposé ?
C’est des choses qui s’improvisent un peu au feeling et au dernier moment. Sonny est présent, il faut que le public soit à fond derrière l’OL car il y a une finale de C1 à la clé. C’est donc assez naturellement que je lui tends mon micro…
Est ce qu’il vous est arrivé de faire de grosses boulettes en tant que speaker ?
Je ne crois pas… Mais j’ai quand même une anecdote : lorsque l’OL avait prêté Tony Vairelles à Bastia, les Corses jouaient un match dont le score final avait une importance capitale pour l’OL. Lorsque j’ai annoncé le résultat à Gerland, j’ai précisé que Tony avait manqué un penalty. Ça lui a été rapporté, et de manière déformée puisqu’on lui a dit que c’était de la moquerie. Ce n’était pas mon intention ! Il m’en a longtemps voulu mais j’ai eu l’occasion de m’expliquer avec lui et il a compris comment s’étaient passées les choses.
Et les coups d’envoi ? Quelles sont les plus grosses stars que vous avez été chargé d’accueillir ?
Celle qui me vient spontanément c’est Clint Eastwood ! Il avait gratifié Gerland d’une magnifique louche… Sinon, difficile de sortir d’autres noms, les souvenirs s’effacent avec le temps… Mais j’ai effectivement accueilli de très grandes stars, notamment des champions olympiques issus d’autres disciplines que le foot !
Vous animiez également le tristement célèbre Cameroun/Colombie du 26 juin 2003 lors duquel Marc-Vivien Foé est décédé. Racontez-nous comment vous avez vécu ce moment dramatique et les heures qui ont suivi la rencontre…
C’était terrible… Dans ma cabine de speaker, j’avais un écran me permettant de voir les images diffusées à la télévision. Quand j’ai vu le gros plan sur le visage de Marc-Viven Foé montrant ses yeux révulsés, j’ai tout de suite compris que c’était grave… Les heures qui ont suivi le match ont été particulièrement éprouvantes… On essayait tous d’avoir des nouvelles, puis ce qu’on redoutait le plus est arrivé… (soupires)
Son départ de l’OL
Avez-vous digéré le fait de ne pas avoir été retenu pour faire partie de l’aventure Groupama Stadium ?
Oui c’est digéré. Je vais pas mentir, j’aurais aimé faire partie de l’aventure… Mais j’ai un peu senti venir les choses : l’entrée dans le grand stade approchait et pourtant l’OL ne me donnait aucune nouvelle. Puis un jour, Olivier Blanc et Xavier Pierrot m’ont annoncé leur décision : nouveau stade voulait aussi dire nouvelle voix. Je ne suis pas amer car j’aurais quand même réalisé un rêve de gosse. Petit, j’accompagnais déjà mon père pour supporter l’OL et finalement, je suis devenu la voix de Gerland pendant 17 ans et demi !
Vous connaissez Joffrey Dassonville, le speaker du Groupama Stadium ? Vous a-t-il demandé des conseils avant de vous succéder ?
Un petit peu. Avant de prendre ses fonctions, il m’a accompagné à Gerland lors de 2-3 matchs pour voir comment je pratiquais la fonction de speaker. J’aurais aimé que la transition se fasse plus en douceur, on aurait pu coanimer la deuxième partie de la saison 2015-2016 avant que je lui laisse ma place. Mais ça ne s’est pas fait comme ça.
Vous vous rendez souvent au Groupama Stadium ?
De temps en temps. Si je veux m’y rendre, je suis invité. Mais j’avoue préférer regarder les matchs à la télévision !
Crédit photo : Donomiq
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